Que reste-t-il de la liberté de la presse ?

À l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse 2023, l’UNESCO va organiser un événement anniversaire spécial au siège de l’ONU à New-York, marquant ainsi les 30 ans de la décision de l’Assemblée générale des Nations Unies de proclamer une journée internationale pour la liberté de la presse.

Quel rang obtient la France dans le classement mondial ?

Selon une étude publiée ce 3 mai, par Reporters Sans Frontières. Le classement évalue les conditions d’exercice du journalisme dans 180 pays.

Par le passé, la France était pointée du doigt à cause du contexte des violences policières liées au mouvement des Gilets jaunes. Mais cette année, l’Hexagone est un meilleur élève et gagne 2 rangs pour se hisser à la 24eme place du classement. Ce score est caractérisé par de bons résultats, aussi bien sur le plan légal que socioculturel. Cependant, rsf.org précise que le contexte économique et sécuritaire est jugé “problématique”

La liberté de la presse en France: qui possède quoi?

Difficile de se poser la question de la liberté de la presse sans se poser la question de la concentration des médias dans les mains de quelques industriels.

Xavier Niel, Bernard Arnault, Vincent Bolloré, Martin Bouygues

Bolloré, Drahi, Arnault, Dassault, Pinault, Niel, Bouygues: les noms des quelques milliardaires devenus patrons de la presse française sont largement connus du grand public. Les rachats successifs de ces dernières années, à commencer par Vincent Bolloré avalant le groupe Canal + (dont iTélé, devenu CNews), ont fait naître de fortes inquiétudes pour la liberté de la presse et l’indépendance des journalistes. Avec un point commun à la plupart de ces articles, publications et même propositions de loi critiquant cette concentration : l’affirmation selon laquelle neuf milliardaires se partagent 90 % des médias français.

État des lieux de la presse en France

La formule a été reprise encore récemment, dans le documentaire Média Crash – qui a tué le débat public ?, sorti le 16 janvier et réalisé par Valentine Oberti et Luc Hermann, respectivement journalistes à Mediapart et Premières Lignes. «Jamais la France n’a connu une telle concentration des médias privés : neuf milliardaires détiennent plus de 90 % des grands médias, télévision, radio, journaux», explique la voix off dans les premières minutes destinées à planter le décor.

Historique et état des lieux de la presse en Guadeloupe

La presse guadelou­péenne représente une floraison de titres, qui ne durent parfois que le temps d’un parti ou d’un meneur. Elle reflète les combats politiques et la perception qu’a le Guadeloupéen de son pays.

Au XIXe siècle  la Gazette de la Guadeloupe, la Gazette officielle, (1815-1881), Le Journal officiel de la Guadeloupe, (1882-1947) présentent les textes officiels. C’est à cette période que la presse locale prend son essor et devient l’organe d’expression de l’actualité, l’histoire, la politique, la culture guadeloupéenne avec Le Courrier de la GuadeloupeLe ProgrèsLe Peuple.

Au XXe siècle, Aldophe-Hildever Lara fonde Le Nouvelliste de la Guadeloupe (1902-1965), premier journal dédié à l’information. Après la Seconde Guerre mondiale apparaissent Le Miroir de la Guadeloupe (1947-1957), Match (1943-2010), L’Etincelle (1944), Le Progrès social (1957). Le quotidien Le Nouvelliste est suivi par Antilles Matin (1964-1966), puis France-Antilles en 1965 du groupe Hersant, racheté après sa liquidation judiciaire en 2020 par Xavier Niel, le célèbre patron de Free.

À l’époque plusieurs patrons de presse ont été contactés par l’Etat pour créer France-Antilles. Robert Hersant, député de l’Oise, et créateur notamment de l’Auto-journal, est le seul à relever le défi. Il est appuyé par le ministre de l’Information de l’époque, Alain Peyrefitte. En 1973, il rachète le titre dans des conditions floues. Tout laisse à penser qu’on lui a fait un cadeau. Le prix de la transaction demeure à ce jour inconnu. Le journal continue d’être la voix de la France et sert la cause du pouvoir. Les aspirations autonomistes ne sont pas représentées.

L’actualité hebdomadaire paraît aussi dans St Martin’s week (1985), Le Journal de Saint-Barth (1993), Le Pélican (2004), La Gazette des Caraïbes (2006-2009), Nouvelles Semaine (2010), Le Courrier de Guadeloupe (2012), Ti Journal (2015).

Sources: telerama.fr ; francearchives.gouv.fr

Inédit en Guadeloupe: règlements de compte et affrontements par médias interposés

Si la presse aux Antilles-Guyane est en situation quasi hégémonique par la présence des titres comme France-Antilles ou par le monopole du service public audiovisuel, on assiste cependant, ces dernières semaines, à des règlements de compte entre Guadeloupe La 1ère et la chaine privée locale Canal 10.

Dans le JT local de Canal 10 du 7 avril, le journaliste Harold Luce avait relayé les propos du député Elie Califer qui devant la commission des Affaires sociales de l’Assemblée Nationale critiquait la gestion de la crise Covid en Guadeloupe. Des propos qui avaient suscité un tollé, le député ayant dû s’excuser par la suite dans un communiqué.

Le député Guadeloupéen Ellie Califer, devant la commission des Affaires sociales de l’AN

Source: https://la1ere.francetvinfo.fr/guadeloupe/hopitaux-de-la-mort-situation-catastrophique-les-propos-d-elie-califer-a-la-commission-des-affaires-sociales-de-l-assemblee-creent-la-polemique-1383354.html

Ce à quoi répondait le journaliste Eric Stimpfling, dans un reportage diffusé le 8 avril dans le JT de Guadeloupe La 1ère, accusant son confrère, d’être un complotiste antivax

Une passe d’armes, inédite dans la forme entre les deux confrères, loin d’être passée inaperçue sur les réseaux sociaux et des accusations vite balayées par le journaliste de Canal 10, via son compte Twitter, s’appuyant notamment sur des sources nationales… du service public.

Eric Stimpfling, journaliste à Guadeloupe La 1ère
Harold Luce, journaliste à Canal 10

Ces attaques contre Canal 10 ne sont pas nouvelles. Le media local dérange le service public depuis sa création en 1986. En effet, au fil des années, la petite chaine, créée par feu Michel Rodriguez et gérée par sa fille Lisa, a su se rendre populaire, s’interessant en priorité aux préoccupations du peuple, qui le lui rend bien volontiers.

Un lien de proximité et d’affection, renforcé pendant le crise Covid, là où le service public se contente d’un journalisme de préfecture, selon l’expression employée par des médias comme  AcrimedLe MédiaArrêt sur images ou Blast.

Situation de monopole, éditorial imposé par l’extérieur… Cela devrait nous interroger sur le type de presse que nous voulons pour la Guadeloupe: une presse libre, indépendante et aussi capable de mener ses propres investigations.

La liberté de la presse est l’une des principales libertés publiques, garantie par la loi du 29 juillet 1881 et la Cour Européenne des Droits de l’Homme. C’est une condition nécessaire à l’exercice de la démocratie. Elle participe du droit d’expression et de critique dont disposent tous les citoyens vivant dans les pays démocratiques.

Et la Guadeloupe, territoire régi par les lois de la République, n’y échappe pas.